L'Île des Pingouins by Anatole France

L'Île des Pingouins by Anatole France

Auteur:Anatole France
La langue: fra
Format: mobi, epub
Tags: Romans
Éditeur: Les Bourlapapey bibliothèque numérique romande
Publié: 2015-02-24T14:09:38+00:00


CHAPITRE VI

LA CHUTE DE L’ÉMIRAL

Cette nuit marqua l’apogée du mouvement dracophile. Les monarchistes ne doutaient plus du triomphe. Les principaux d’entre eux envoyaient au prince Crucho des félicitations par télégraphe sans fil. Les dames lui brodaient des écharpes et des pantoufles. M. de Plume avait trouvé le cheval vert.

Le pieux Agaric partageait la commune espérance. Toutefois, il travaillait encore à faire des partisans au prétendant.

— Il faut, disait-il, atteindre les couches profondes.

Dans ce dessein, il s’aboucha avec trois syndicats ouvriers.

En ce temps-là, les artisans ne vivaient plus, comme au temps des Draconides, sous le régime des corporations. Ils étaient libres, mais ils n’avaient pas de gain assuré. Après s’être longtemps tenus isolés les uns des autres, sans aide et sans appui, ils s’étaient constitués en syndicats. Les caisses de ces syndicats étaient vides, les syndiqués n’ayant pas coutume de payer leur cotisation. Il y avait des syndicats de trente mille membres ; il y en avait de mille, de cinq cents, de deux cents. Plusieurs comptaient deux ou trois membres seulement, ou même un peu moins. Mais les listes des adhérents n’étant point publiées, il n’était pas facile de distinguer les grands syndicats des petits.

Après de sinueuses et ténébreuses démarches, le pieux Agaric fut mis en rapport, dans une salle du Moulin de la Galette, avec les camarades Dagobert, Tronc et Balafille, secrétaires de trois syndicats professionnels, dont le premier comptait quatorze membres, le second vingt-quatre et le troisième un seul. Agaric déploya, dans cette entrevue, une extrême habileté.

— Messieurs, dit-il, nous n’avons pas, à beaucoup d’égards, vous et moi, les mêmes idées politiques et sociales ; mais il est des points sur lesquels nous pouvons nous entendre. Nous avons un ennemi commun. Le gouvernement vous exploite et se moque de vous. Aidez-nous à le renverser ; nous vous en fournissons autant que possible les moyens ; et vous pourrez, au surplus, compter sur notre reconnaissance.

— Compris. Aboulez la galette, dit Dagobert.

Le révérend père posa sur la table un sac que lui avait remis, les larmes aux yeux, le distillateur des Conils.

— Topez là, firent les trois compagnons.

Ainsi fut scellé ce pacte solennel.

Aussitôt que le moine fut parti, emportant la joie d’avoir acquis à sa cause les masses profondes, Dagobert, Tronc et Balafille sifflèrent leurs femmes, Amélie, Reine et Mathilde, qui, dans la rue, guettaient le signal, et tous les six, se tenant par la main, dansèrent autour du sac en chantant :

J’ai du bon pognon ;

Tu n’ l’auras pas, Chatillon !

Hou ! hou ! la calotte !

Et ils commandèrent un saladier de vin chaud.

Le soir, ils allèrent tous les six, de troquet en troquet, modulant leur chanson nouvelle. Elle plut, car les agents de la police secrète rapportèrent que le nombre croissait chaque jour des ouvriers chantant dans les faubourgs :

J’ai du bon pognon ;

Tu n’ l’auras pas, Chatillon !

Hou ! hou ! la calotte !

L’agitation dracophile ne s’était pas propagée dans les provinces. Le pieux Agaric en cherchait la raison, sans pouvoir la découvrir, quand le vieillard Cornemuse vint la lui révéler.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.